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A l'ombre des mots
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Aharon Appelfeld : Histoire d'une vie

Aharon Appelfeld : Histoire d'une vie

Aharon Appelfeld : Histoire d'une vie

J’ai parlé du silence et du soupçon, de la préférence pour le fait plutôt que pour l’explication. Je n’aime pas m’étendre sur les sentiments. Une trop grande propension à parler des affects nous entraînera toujours vers le labyrinthe sentimental, vers le piétinement sur place et l’aplatissement.

Histoire d'une vie

L’auteur Aharon Appelfeld a disparu dans la nuit du 3 au 4 janvier dernier à l’âge de 85 ans. Auteur de plus d’une quarantaine de livres traduits en 35 langues, et lauréat de nombreux prix, notamment le Médicis étranger en 2004, sa plume a traversé les continents et les époques. Avec Primo Levi, Elie Wiesel ou encore Leib Rochmann, il fait partie de cette génération d’écrivains survivants de la Shoah qui a tant écrit sur l’indicible. Appelfeld refusait pourtant qu’on le qualifie d’  « écrivain de la Shoah », sa littérature se voulait variée et universelle. L’écrivain vivait en Israël, mais il était avant tout « un juif qui écrit en Israël » d’après ses mots.

Né en 1932 en Roumanie, près de Czernowitz, il connaît une enfance heureuse. Puis les années sombres commencent : en 1940, sa mère est tuée,  et un an plus tard lui et son père connaissent le ghetto, avant d’être déportés dans un camp à la frontière ukrainienne. Aharon Appelfeld parviendra à s’y enfuir en 1942 et passera de nombreuses années jusqu’à la fin de la guerre à errer dans les forêts d’Ukraine, et se cacher chez des paysans. Dans Histoire d’une vie, où il revient sur ces années, il écrit :

« Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu'il pleut, qu'il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m'ont abrité longtemps. La mémoire, s'avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l'odeur de la paille pourrie ou du cri d'un oiseau pour me transporter loin et à l'intérieur. »

Aharon Appelfel a vécu l’enfer des camps, la perte de ses proches, la perte de soi. Il lui fallait se retrouver après la guerre. Mais comment se retrouver lorsqu’on a été enlevé à ses parents, à son pays…où se définit l’identité ? Apatride, orphelin (c’est en tout cas ce qu’il croit, car il retrouvera de nombreuses années plus tard, en Israël son père, qui a lui aussi survécu aux camps), Aharon Appelfeld devra se reconstruire avec ce qui lui reste : ses souvenirs, sa foi, sa force.

Dans la plupart de ses livres, on peut dire selon les mots de Baudelaire qu’il « n’est jamais tout à fait le même, ni jamais tout à fait un autre ». Le narrateur est toujours un jeune juif qui a fui les camps de la mort, qui erre dans la forêt, fuyant l’ennemi oppresseur. Il fréquentera après-guerre un château en Italie où se retrouvent des rescapés qui essaient de se reconstruire (vain projet pour une grande part d’entre eux), puis partira s’installer en Israël. Dans Le garçon qui voulait dormir, le héros se trouve embarqué vers Israël, en passant par les camps de transit, le bateau, le kibboutz…ce garçon passe son temps à dormir. Comme si son corps voulait empêcher le héros de se réveiller, de réaliser ce qui lui est arrivé. La négation physique, psychique. Les autres passagers qui embarquent avec lui pour Israël l’observent avec méfiance et quelque tendresse pour ce frêle jeune homme semblant malade. Le garçon qui voulait dormir est un des plus beaux livres que j’ai lu.  Appelfeld sait raconter l’indicible parfois en ne le racontant pas justement, il y a des silences, des lignes invisibles à déchiffrer, tout est dans la retenue, la justesse, la beauté des mots, comme une résistance à la réalité cruelle, laide, impossible et pourtant. C’est sa manière su personnelle de décrire ce qui est indescriptible, inqualifiable.

Dans Et la fureur ne s’est pas encore tue, le héros est un rescapé de la Shoah qui va dans un château, vaste demeure crée pour les rescapés, comme une zone en dehors du monde apocalyptique d’après-guerre. Pour se reposer, se reconstruire. Pourtant dans ce ‘no man’s land’, les habitants ne se retrouvent pas, c’est même le contraire : ils délirent, se perdent, certains deviennent fous, d’autres partent avant de l’être, d’autres encore préfèrent en finir et se suicident. Appelfeld s’interroge sur le sens de la vie dans cette œuvre : comment se construire après la catastrophe de la guerre ? Et pourquoi finalement ? Ce livre n’est  pas aussi sombre qu’il n’y paraît, on y trouve aussi de l’amitié, de l’espoir, une certaine joie. A l’image de toute son œuvre, on reste juste émerveillé et silencieux.

Professeur de lettres à l’université dans le sud d’Israel jusqu’à sa retraite en 1979, il continuait pourtant d’écrire et avait publié un dernier roman en 2016. Ami de l’américain Philip Roth, ce dernier en avait fait un personnage dans son Opération Shylock. Figure de l’écriture de la Shoah, il se voulait avant tout écrivain des vivants, affirmant que « Vous ne pouvez être un écrivain de la mort. L’écriture suppose que vous soyez vivant ». La vie avant tout.

A lire ou à relire d’Aharon Appelfeld (entre autres):

 

  • Histoire d'une vie, Keter, 1999, l’Olivier, 2004 – Prix Médicis étranger 2004
  • Et la fureur ne s’est pas encore tue, éditions de l'Olivier, 2009
  • Le Garçon qui voulait dormir, éditions de lOlivier, 2011
  • Les Partisans, éditions de lOlivier, 2015
  • De longues nuits d’été, L’école des loisirs, 2017

 

A bientôt les amis, n’hésitez pas à commenter et partager votre avis si vous connaissez cet auteur et son œuvre !

Johanna